Les rêves et leurs symboles
Qui est le rêveur dans le rêve ?
Est-ce le Je qui marche et parle et court dans la nuit ?
Est-ce le même Je que celui de la lumière du jour ?
Est-ce un autre Je ?
Est-ce que cet être nocturne en proie à des hallucinations a quoi que ce soit à me dire ?
Il se pourrait bien que oui.
(Siri Hustvedt - La femme qui tremble)

Le rêve est une expérience intime, souvent bouleversante. Avez-vous remarqué que certains rêves très puissants restent gravés dans la mémoire pour l'existence toute entière, à égalité avec les événements les plus marquants d’une vie ?
Les rêves éclairent nos questionnements et nous ouvrent à une dimension plus complète de notre être, au-delà du poids de notre quotidien et de toute logique rationnelle. À travers les figures symboliques qui peuplent nos songes, se révèlent avec pertinence des pans entiers de notre inconscient.
L'occasion de reconnaître et d'intégrer les aspects refoulés ou non acceptés de soi, voir aussi se révéler nos qualités ou nos ressources... C'est tout un rééquilibrage subtil de notre psychisme qui vient se jouer là.
Un peu d'histoire
Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire connue de l’humanité, l’être humain s’est intéressé à ses rêves et à leur mystérieuse signification. Les peuples premiers leur accordent un rôle capital dans tous les domaines de la vie. Ils y cherchent une explication, un conseil tout à fait concret, ou encore une médecine magique.
Dans les civilisations antiques (égyptienne, grecque et romaine), le rêve est étroitement lié à la vie de la cité, et on construit même des "temples d’incubation" où l’on vient dormir et faire interpréter ses rêves. Dans la Bible et le Nouveau Testament, les rêves ont une place très importante. Ils expriment la volonté divine, ou éclairent un destin individuel, ou encore annoncent un avenir plus ou moins éloigné.
La civilisation occidentale, elle, interdit l'interprétation des rêves dès le XIIe siècle. Le contenu des rêves est considéré par l’Église catholique et l’Inquisition comme diabolique, et leur étude assimilée à des pratiques divinatoires comme le tarot ou l'astrologie. L’Église impose en remplacement le culte des saints guérisseurs, et l’interdiction religieuse est reprise par les autorités laïques : l’interprétation des rêves est restée interdite en France jusqu'en 1992 par l'ancien code pénal.. ! On peut donc dire qu'en Occident, pendant près de 800 ans, il est devenu raisonnable, scientifique et normal de séparer la conscience de l’inconscient.. ! Il n’est pas facile aujourd’hui de refonder sur d’autres bases une pensée ainsi modelée pendant presque un millénaire avec la force d’une nouvelle religion..!
Vers la fin du XIXe siècle, l’affaiblissement de l’Église et l’engouement grandissant pour l’occultisme redonnent de la vigueur à l’intérêt que l’on porte aux rêves. Des savants, des écrivains et des hommes célèbres (Einstein, August von Kekule...) racontent les songes à l'origine de leurs découvertes et de leurs destins. L'existence d'une activité psychique méconnue devient une certitude, et la notion de l’inconscient se fait jour.
Mais il faudra encore quelques décennies avant que notre société scientiste reconnaisse au rêve le moindre intérêt. Pendant des siècles, le rêve a été considéré par les médecins comme un phénomène incohérent sans aucun intérêt. En 1924, le Larousse Médical Illustré donne du rêve la définition suivante : "Désordre psychique à contenu absurde et sans valeur pratique". Il associe ensuite le rêve aux travaux de Freud sur les maladies mentales : le rêve concerne les malades mentaux et leurs psychiatres, et la psychanalyse se construit sur ces préjugés négatifs.
Dans les années 60, avec la découverte du sommeil paradoxal, dont tout démontre qu’il est le temps du rêve, on découvre une fonction neurobiologique déterminante pour la maturation du système nerveux central. Cette fonction existe chez tous les mammifères et les oiseaux depuis 180 millions d'années. On peut imaginer que l'évolution n’aurait pas maintenu un phénomène aussi complexe sans raisons puissantes.
La médecine comprend alors que le rêve répond à une nécessité vitale. Il a une fonction psychique et thérapeutique.
La contribution jungienne
C.G. Jung, psychiatre et psychologue suisse, fondateur de la psychologie analytique, a mis au centre de ses travaux la science des rêves. Jung considérait les rêves comme un guide essentiel pour comprendre les ressorts de l'inconscient au service de la psyché.
Il a développé des concepts clés pour analyser les rêves, ce qui reste une partie intégrante de la psychologie analytique et de la thérapie jungienne aujourd'hui.
Le processus à l'œuvre au cœur de nos rêves
Au centre de l’analyse des rêves selon C.G. Jung se trouvent les notions du moi et du Soi.
Le moi (ou "ego") représente la conscience individuelle. C'est la partie de la psyché qui est consciente d'elle-même et de son environnement, qui prend des décisions et qui interagit avec le monde extérieur. Le moi est lié à l'identité personnelle, aux pensées conscientes et aux sentiments.
Le Soi (concept que l'on retrouve dans certaines traditions philosophiques et spirituelles comme l'Hindouisme et le Taoïsme) représente l'ensemble de la psyché, incluant à la fois le moi et l'inconscient. Au plus profond de l’être, le Soi est l'archétype qui cherche à réaliser l’union des contraires (à l'image des principes Yin et Yang dans la philosophie taoïste). Le Soi incarne, dans la psyché, l'équilibre entre conscient et inconscient, créant sans cesse la conscience au sein même de l’inconscient.
Le Soi nous apparaît à travers les rêves, les expériences mystiques, les synchronicités, les prises de conscience, l’inspiration, l’intuition, la création. La découverte fondamentale de C.G. Jung est d’avoir relié ce processus à la démarche du travail sur soi. Pour Jung, le Soi est l’émetteur de la conscience, et le moi en est le récepteur. Ce dernier a une fonction tout à fait essentielle de traducteur, d’interprète : sans la médiation du moi, nous ne pourrions pas entrer en contact avec la conscience supérieure qu’est le Soi, ni l’incarner dans notre expérience de vie.
La première visée du Soi est de fonder, de délimiter le moi. Psychologiquement, le Soi agit comme un ami intérieur qui permet au moi conscient d’englober de plus en plus d'éléments inconscients, c'est-à-dire d’élargir son champ de conscience pour permettre à la personnalité de s’épanouir et de se transformer, de mûrir, de grandir.
Le Soi, véritable force motrice, nous fait contacter une manne de créativité puisqu'à travers les rêves il nous amène toujours à reconsidérer notre point de vue avec une habileté et un champ de vision élargi dont le moi n’est pas capable, parce qu’il est verrouillé dans ses croyances, dans ses certitudes, dans ses résistances, ses points de vue limitants.
Nous accédons ainsi à notre vraie nature individuelle - en langage jungien, on parlera d'individuation. L’individuation, à l'inverse de l'individualisme égocentré, c’est retrouver la racine collective de l’individu, reconnaître enfin que nous participons à une vie psychique collective au centre de laquelle se trouve le Soi, présent en chaque individu. En cela on pourrait dire que les rêves nous mènent à une écologie psychique..!
Ainsi, le rêve n’est pas fabriqué par le moi : on ne "fait" pas un rêve, on le reçoit. Le rêve "branche" le moi directement sur le processus du Soi. Comment ?
Grâce à la langue des symboles.
Qu'est-ce qu'un symbole ?

Un symbole peut être une figure, un objet, un être vivant, qui est l'image d'un concept, qui représente une chose abstraite. Le symbole nous met en contact avec la réalité invisible qu’il évoque (par exemple, le baptême, qui symbolise l’ouverture de l’être à une dimension spirituelle supérieure, ou plus prosaïquement une poignée de mains, qui symbolise un accord entre deux personnes, etc.).
Symbole en grec se dit sumbaleïn : mettre ensemble, réunir, réunifier (à noter que l’antonyme de ce mot est diabolos, le diable, celui qui divise). Mettre ensemble, réunir, réunifier : les symboles font un lien entre ce qui est apparent et ce qui est caché, ils sont un trait d’union entre le conscient et l’inconscient. Ainsi, à travers nos rêves, les symboles apportent quelque chose de très précieux : ils mettent le moi en contact avec le point de vue du Soi, qui est toujours un point de vue d’ouverture et d’épanouissement.
Bien sûr on ne peut pas appliquer aux symboles qu'il véhicule une grille de lecture toute faite. Les symboles des rêves sont vivants, ils nous traversent, on ne les trouve pas dans un dictionnaire.
Si vous rêvez d’un jardin par exemple, à quoi ressemble-t-il ? Est-il grand, petit, relié à une maison ou perdu dans la campagne, entourée de haies ou de hauts grillages, s’agit-il d’un potager ou d’un jardin fleuri ? Y trouve-t-on des pelouses, des arbres ? Le jardin est-il entretenu ? Connaissez-vous ce lieu, vous évoque-t-il un lieu connu ou inexploré ? Êtes-vous le jardinier ou êtes vous là seulement en visite ? Êtes-vous seul dans ce jardin, ou accompagné ?
Chaque élément du rêve est ainsi « questionné », et les réponses que vous apporterez font de votre rêve un élément unique dont la langue symbolique ne peut être explorée et entendue qu’à partir de votre expérience propre, et dont le message ne s’adresse le plus souvent qu’à vous. C’est pour cela qu’il faut explorer le contenu du rêve avec minutie, même s’il est fait parfois d'images et de situations en apparence absurdes ou incohérentes.
À travers nos rêves, le langage des symboles, à la fois singulier et universel, nous guide, dans les profondeurs de l’inconscient, vers un processus dynamique d'évolution, d'harmonisation et de transformation.